Cette vidéo montre bien les deux aspects importants (si on laisse le cas Dieudonné qui fut plutôt consensuel) du débat entre Zemmour et Taubira. Après le débat oral toujours confus, il faut toujours prendre le temps de revenir sur les arguments avancés, les confronter, les comparer et les analyser. Faisons- le!
Ainsi Zemmour reproche à Taubira de ne parler dans sa loi de 2001 sur "la traite des noirs" que de la traite trans - atlantique, oubliant la traite arabo - musulmane et même (il ne le dit pas ici mais il l'a dit maintes fois ailleurs) la traite des noirs par les seigneurs, chefs de tribus africaines, donc eux - mêmes noirs. La "délégué à l'expression républicaine" dans la campagne de Ségolène royal, lui répond que les motifs de la loi et les discussions destinées à la préparation de la loi, ont pris ces autres traites en considération. Mais que le gouvernement français n'avait pas pu engager d'autres pays dans la loi.
C'est avant tout partiellement faux. En effet, d'autres pays sont engagés, et elle le souligne elle - même, puisque la France n'est pas la seule visée et qu'il s'agit de la traite trans - atlantique. Ce sont au contraire les pays non occidentaux, noirs africains et arabo - musulmans qui ne sont pas visés. Scandaleux mais peu étonnant, preuve du Sanglot de l'homme blanc (Pascal Bruckner)[1], mais de l'homme blanc seulement, et de sa civilisation, l'occidentale. La peur d'Huntington et du "choc des civilisations", la peur de froisser ces non - blancs n'étant sans doute pas étrangère à ce refus.
Mis à part cela, la réponse aurait pu être acceptable si elle n' était pas venue contredire l'autre réponse de Mme Taubira. Questionnée ensuite sur la loi pour la laïcité à l'école de 2003, dite "loi sur le voile" (les dérogations à la laïcité venant essentiellement du port du voile, même si des cas de Turbans sikhs ont aussi été relevés), l'ancienne chef du Parti radical de gauche se livre en effet à une vive critique de la loi, au motif, il faut bien le reconnaître, qu'elle ne contient pas tout, comme le souligne Zemmour entre deux mots de la coléreuse. La députée critique, à juste titre, le fait que l'Alsace - Lorraine bénéficie toujours du statut du Concordat - véritable vestige de l'histoire du XIXe siècle et de la domination allemande dans cette région - et qu'elle ne supprime pas non plus les régimes d'exception accordés par accords avec leurs pays respectifs, le Maroc et l'Algérie, envers les ressortissants marocains et algériens, au sujet de la répudiation (régime tout à fait scandaleux, soit dit en passant).
Si les deux arguments avancés méritent d'être dits plus hauts et plus forts, ils ne conviennent pourtant pas à la logique de MMe la députée; car, s'il fallait ne pas voter une loi au motif qu'elle ne résout pas tout et qu'elle laisse de côté tout un pan des problèmes, tout un pan de la vérité, tout un pan de l'histoire, alors Mme Taubira n'aurait pas dû voter sa propre loi sur la "traite des noirs", qui de la même manière, comme l'a rappelé Zemmour, laissait de coté, pour le coup, un phénomène beaucoup plus grave, la traite par les chefs de tribus arabes et noires. Sans même rappeler le contexte de la loi sur la laïcité - celui de la communautarisation et de la pression intégriste exercée dans certaines banlieues ou ailleurs -, qui à lui seul justifiait le vote de cette loi en 2003, Taubira se rendait coupable d'illogisme[2].
Illogisme de la dame? Confusion de sa part? Oubli de ses principes?
Peu probable pour une femme qui ne manque pas d'intelligence, on l'a vu.
Alors autre logique sûrement. Une logique, qui dans le vote de la loi de 2001 d'une part, comme dans le refus de voter celle de 2003 d'autre part, vient conforter, malgré ce qu'elle peut dire, l'idée d'une rivalité, d'une opposition, d'un affrontement, d'une violence au moins symbolique, entre des communautés construites : noirs et blancs d'une part, musulmans et non musulmans d'autre part, au détriment de "l'idéal républicain" de discrétion, appelé "assimilationnisme", mentionné par Zemmour. En effet, car dans un cas, elle choisit de voter une loi partiale reprochant à des blancs leur action sur les noirs (décrire la traite des noirs comme un crime contre l'humanité est une bonne chose en soi, le problème est de la limiter à la traite trans - atlantique du 15e au 19e siècle, entretenant une psychose d'opposition historique uniquement entre noirs et blancs), d'autre part elle refuse de voter une loi visant à rétablir l'idéal de discrétion républicaine, ayant cédé du terrain face à la communautarisation religieuse, entretenant ainsi l'idée (aberrante) de stigmatisation des musulmans par la société française.
Si Zemmour, à chaud, en quelques instants, ne rappelait pas à Christine Taubira ses contradictions, que cet article vient compléter après réflexion, mais lui rappelait sa logique; encore une fois, il posait les bonnes questions et visait là où il fallait.
[1] Pascal Bruckner, Le Sanglot de l’homme blanc, Paris : Editions du Seuil, 1983, réédité en collection Points en 2002
[2]Il semble que l’illogisme soit un défaut qui revienne souvent dans les études que nous menons, voir L'illogisme de l'exigence démocratique, sans doute serait – il bien de remettre l’étude de syllogismes au goût du jour.