Economie. L'Essentiel pour la politique économique. Fiche technique.
·Qu'est-ce que la croissance ?
Le concept de croissance est plus restreint que celui de développement, c'est-à-dire l'ensemble des transformations techniques, sociales et culturelles accompagnant la croissance de la production. On doit encore distinguer la croissance du bien être, du progrès, et aussi de l'expansion, termes plus flous.
Croissance = l'augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues d'un indicateur de dimension, le produit global net en termes réels. Le phénomène est relativement récent, c'est au XXe siècle qu'il prend une ampleur considérable en intensité et géographiquement, devenant quasi mondial.
·Les principaux indicateurs de la croissance.
- Le PIB réel (Produit intérieur brut), la production nationale prenant comme référence une année de base. On calcule ainsi le Taux de croissance annuel = l'évolution du PIB d'une année à l'autre. Le PIB réel, c'est-à-dire, rapporté aux prix de vente des biens et services, correspond aussi au pouvoir d'achat des ménages.
Les limites et ce que le PIB réel ne prend pas en compte :
- Approche partielle, certains éléments de l'économie nationale manquent (ex : le travail domestique).
- L'amélioration des produits existants et l'apparition de nouveaux produits.
- Le choix de l'année de base ne peut pas être arbitraire.
- Le niveau de vie n'est pas forcément meilleur si la croissance démographique est supérieur à la croissance économique.
- C'est pourquoi l'indicateur le plus pertinent est le PIB par tête ou PIB par habitant, qui prend en compte l'évolution de la démographie, des naissances comme de l'immigration.
I. L'évolution de la croissance économique.
A. L'histoire longue de la croissance économique.
Angus Madison (1926-...) dans son ouvrage Les phases du développement capitaliste en 1981 étudie l'évolution de la croissance dans le long terme, il en propose un aperçu sur deux millénaires. Il en ressort que la croissance économique est sur le long terme, un phénomène très récent.
Tableau: Croissance dans les pays européens (Maddison (1981)) |
(Taux de croissance annuel moyen) | PIB | Population | PIB/tête | Période agraire : 500-1500 | 0 | 0 | 0 | Période agraire progressive : 1500-1700 | 0.3 | 0.2 | 0.1 | Capitalisme commercial : 1700-1820 | 0.6 | 0.4 | 0.2 | Capitalisme : 1820-1980 | 2.5 | 0.9 | 1.6 | |
Fin de l'Empire romain à 1500 : Pas de croissance de la production/habitant en Europe. L'agriculture, principal outil de travail connaît de minces évolutions. Vers le XIe siècle, le progrès technique apparaît (charrue, collier de cheval, moulin à eau) mais la population augmente aussi, la production/habitant ne connaît donc pas de changement significatif.
De 1500 à 1700 environ : la croissance est faible, environ 0,1% par an.
De 1700 à 1820 : croissance de 0,2% par an.
De 1820 à la seconde guerre mondiale : autour de 1,5 à 2%. La croissance pendant la première révolution industrielle est donc faible par rapport à la période de l'après guerre.
De l'après guerre aux années 70 : En Europe la croissance atteint des taux annuels moyens de 4 ou 5%, plus de 6% en Allemagne. Au japon on dépasse les 8%. Cette période, considérable pour la croissance, n'est jamais qu'exceptionnelle sur le long terme.
Des taux significativement non-nuls ne s'observent que depuis deux siècles. Deux siècles correspondent à une période courte dans l'histoire de l'Humanité... mais assez longue pour que ces taux de croissance aient un effet considérable sur les sociétés humaines. Il faut noter aussi qu'elle évolue différemment selon les pays : la Chine a le plus fort PIB/tête au 15e siècle, au 16e siècle c'est au tour des villes du Nord de l'actuelle Italie, au 17e les leaders sont les Pays-Bas, avant de laisser leur place au Royaume-Uni au 19e puis aux Etats-Unis de 1870 à aujourd'hui. Par ailleurs il ne faut pas confondre le PIB/habitant et le taux de croissance annuel de ce PIB par habitant.
B. Une histoire plus proche de nous.
Le graphique suivant donne le taux de croissance du PIB/tête en termes réels pour les principaux pays européens, nord américains et de l'Australie.
Croissance depuis un siècle (Barro & Sala-i-Martin (1995)).
De 1890 à 1945 : période plus ou moins stable avec une légère baisse de la croissance pendant les deux conflits mondiaux.
De 1946 au début des années 70 : Enorme croissance dans les pays riches, soit les pays les plus industrialisés, soit les pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Ce sont les ''Trente Glorieuses'' (expression inventée par Jean Fourastié dans son ouvrage Les trente glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975), période très courte, mais néanmoins marquante, de l'histoire économique jusqu'au premier choc pétrolier. Entre 1960 et 1973, le taux de croissance moyen annuel était de 6.3% en France, de 3.8% aux États-Unis et de 9.9% au Japon. Pour une période plus longue, de 1950 à 1973 on obtient comme taux de croissance du PIB/habitant : Allemagne, 6% - Belgique, 5.4% - Etats-Unis, 3.7% - France, 4.1% - Italie 5.5% - Japon, 9.7% - Pays-Bas, 4.8% - Royaume-Uni, 3%.
Des années 70 aux années 90 : Ralentissement de la croissance économique dans l'ensemble des pays de l'OCDE accompagné de l'émergence et la persistance du sous-emploi. Ex : pour 1973-1998 ; France, 1.6% - EU, 1.5%.
Depuis les années 1990 : Certains pays, en Amérique du Nord, en Europe du Nord ou en Océanie recouvrent des taux de plus de 3%. Quatre pays asiatiques appelés couramment « les 4 tigres » : Taiwan, Singapour, Hong Kong et la Corée du Sud connaissent une forte croissance. La Chine, avec un taux dépassant les 10% ces dernières années, connaît une croissance encore jamais vue.
Remarques Fondamentales :
- La croissance n'est pas une nécessité historique. On ne l'a pas toujours constaté, en ce sens elle est un phénomène récent et encore aujourd'hui elle n'est pas universelle, certains pays en Afrique ont des taux de croissance proches du zéro, voire négatifs, c'est-à-dire que leur niveau de vie régresse.
- On a constaté au sein des pays riches, une convergence de la production par habitant. Il y a une relation inverse entre la croissance et la production. Un pays à faible production a connu une forte croissance, inversement un pays à forte production a connu une croissance moyenne. Toutefois le retour de la croissance dans certains pays à forte production (comme les Etats-Unis) alors que d'autres stagnent à des taux de 1,5% environ, nuance l'effet de convergence. A l'échelle mondiale, la convergence ne s'applique que pour quelques pays à forte croissance, en pleine expansion, notamment en Asie. Autrement on ne peut parler de convergence mondiale.
- L'évolution de la croissance et du PIB dans le monde laisse penser que le leadership, qui a maintes fois changé de main, pourrait encore le faire. Les Etats-Unis laisseraient leur place, par exemple, à la Chine. Toutefois les Etats-Unis, par leur politique économique semble toujours être tenants de leur sort.
- Des faibles écarts de taux de croissance peuvent correspondre à une différence qualitative forte même sur une courte durée comme la vie d'une génération.
PIB/tête des États-Unis (en dollars de ) :
en : $ | Multiplication par |
en : $. | sur ans. |
Cela correspond à un taux de croissance annuel de 1,75%.
Si le taux de croissance était seulement de 0.75% cela aurait donné un PIB/tête de $ en 1990 (proche de Mexique).
Si, au contraire, le taux était 2.75% (le taux de Taiwan dans la période1900-1987), les Etats-Unis auraient multiplié par leur PIB/tête en atteignant $.
Par conséquent, il est essentiel de comprendre les mécanismes de la croissance. Si l'on pouvait la favoriser, même très faiblement, cela aurait d'importantes conséquences à long terme.
II. Les explications de la croissance.
A. Brève histoire des théories de la croissance.
·Les classiques.
Adam Smith (1723-1790) a mis l'accent sur le rôle des économies d'échelle, de la spécialisation et du commerce international. Il est aussi l'inventeur de l'approche historique dans l'analyse comparative de la croissance.
Thomas Malthus avait un schéma de croissance basé sur deux facteurs : les ressources naturelles et le travail.
David Ricardo reconnaît clairement la puissance productive supplémentaire qui peut provenir des machines et les perspectives de croissance fortes que ces dernières peuvent fournir aux secteurs non-agricoles. Mais l'utilisation progressive des terres de moins en moins fertiles ne peut que tirer vers le haut les prix agricoles et donc les salaires de subsistance. Cela doit conduire à l'épuisement des profits et donc, à l'arrêt de l'expansion économique (l'état stationnaire des classiques - J.S. Mill).
John Stuart Mill.
Karl Marx enfin reconnaît l'accumulation du capital et le progrès technique comme les deux sources de la croissance.
· Schumpeter et les théories modernes de la croissance.
Joseph A. Schumpeter (1883-1950) met l'accent sur le progrès technique plutôt que sur l'accumulation du capital. Il rejette totalement l'analyse de Malthus et de Ricardo concernant la contrainte imposée par la pression de la population. Il distingue le flux circulaire en situation de technologie statique et le développement économique soutenu par des innovations technologiques telles que l'introduction de nouveaux biens, l'introduction de nouvelles méthodes de production, l'ouverture de nouveaux marchés, la découverte et la conquête de nouvelles sources de matières premières, une nouvelle organisation pour l'industrie.
Les théories modernes de la croissance partagent un certain nombre de caractéristiques communes : des comportements concurrentiels, une dynamique d'équilibre, l'analyse du rôle des rendements décroissants et de leur relation avec l'accumulation du capital physique et du capital humain, l'analyse de la relation entre le revenu par tête (per capita) et le taux de croissance de la population; et plus récemment, l'analyse du rôle du progrès technique et de l'influence des monopoles sur ce progrès. Ramsey (1928) est le précurseur de ces travaux, ravivés ensuite par les travaux des keynésiens Harrod(1939) et Domar (1946) mettant l'accent sur l'instabilité du système capitaliste. Le renouveau récent des théories de la croissance hérite surtout des modèles néo-classiques de Solow (1956) et de Swan (1956) et Les implications d'une vision keynésienne de l'économie pour l'analyse de la croissance apparaissent plus clairement dans le modèle post-keynésien de Kaldor (1955-56). La réintégration du modèle de Ramsey a permis de considérer un comportement de consommation plus riche. Ces modèles, nous donnent une analyse de la croissance économique sans vraiment tenir compte de la dynamique des technologies à la Schumpeter.
B. Les explications pratiques.
On relève trois sources d'explication de la croissance économique (Modèle de Solow) :
- l'accumulation du capital (due à l'épargne et l'investissement) : dépend de l'état de la technologie, des rendements d'échelle et des rendements factoriels, de la production et du capital par travailleur. Fonction de production : Y=F(K,L).
- la croissance démographique
- le progrès technique, c'est l'élément le plus durable, on peut supposer qu'il est infini (d'où l'intérêt des financements en recherche et développement).
Quelques notions : - Croissance maîtrisée = celle qui exploite le mieux des facteurs de production à tel ou tel moment.
- Croissance extensive = Plus de capital K, plus de travail L.
- Croissance intensive = Progrès de productivité.
(Travaux de Denison et de Solow).
La première révolution industrielle repose uniquement sur l'utilisation d'entrants, d'inputs ; le rythme de la croissance est alors relativement lent.
Les deuxième et troisième révolution industrielle (l'après guerre et l'informatique dans les années 1990) connaissent une intensification accélérée fondée sur des gains de productivité, à l'image des « miracles » japonais et allemands pendant « les trente glorieuses ».
Des explications encore partielles mais stimulantes.
Dans les années 1980, les travaux de P. Romer et de R.Lucas soulignent l'insuffisance des explications antérieures où la croissance est vue comme un phénomène « exogène » et met en avant une croissance endogène de meilleure productivité par diversification des produits et de capital humain, favorisant l'innovation technologique.
Paul Bairoch envisage les rigidités de l'offre jouant un rôle déterminant pour comprendre les ruptures technologiques et énergétiques au cœur de la croissance (ex : techniques des labour savings au XVIIIe siècle dans les îles britanniques).
A.Gerschenkron, lui, s'intéresse au rôle du degré de l'intervention de l'Etat sur la croissance. Il montre que plus la croissance est tardive, plus l'Etat a tendance à se substituer aux initiatives défaillantes du marché.
Bibliographie.
Blanchard, Cohen, Macroéconomie, Paris :
Burda (Michael), Wyplosz (Charles), Macroéconomie. Une perspective européenne, Paris : De Boeck, 2003
Renversez (Françoise) (dir.), Economie. Dictionnaire encyclopédique, Paris : Dalloz, 1998
Teulon (Frederic) (dir.), Dictionnaire. Histoire. Economie. Finance. Géographie, Paris : PUF, 2004
Mankiw (Gregory N.), Macroéconomie, Paris : De Boeck, 2004
Echard (Rodolphe), Yildizoglu (Murat), Croissance économique, Paris, mars 1999 (trouvé sur
http://yildizoglu.u-bordeaux4.fr/croisemfweb/index.html ).