Par GUY MILIERE
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En France, la détestation d’Israël se dissémine en général de façon plutôt feutrée. On peut accuser des Juifs de manipuler d’autres Juifs et de fomenter un complot et une offre publique d’achat des Israélites de France. On peut aussi, bien sûr, accuser l’armée et le gouvernement israéliens de tous les crimes possibles, s’abriter à cette fin derrière la défense du « peuple palestinien », trouver des justifications au terrorisme en invoquant le « désespoir » des individus concernés. Il arrive même, dans l’exercice de cette torsade, que ce soient des auteurs juifs qui se montrent les plus virulents à soutenir ce qui n’est pas intelligemment soutenable.
Ce phénomène inquiétant n’est, hélas, pas propre à la France. En Scandinavie ou au Royaume-Uni, où la parole est plus libre, la détestation est, en général, plus explicite encore. Aux Etats-Unis, pour les mêmes raisons, des ouvrages peuvent même en appeler à la nécessité de voir Israël, entité décrite comme « intrinsèquement maléfique », disparaître. Et là, encore, ce sont, souvent, il faut le dire et nous sommes ici pour ça, des auteurs juifs qui se portent à la pointe des théories menant à l’anéantissement d’Israël..
C’est aux fins de montrer la dangerosité des propos de ce genre, les liens entre la haine de soi, qui se manifeste ainsi, et une forme de racisme réflectif particulièrement malsain qui permet de parler de « Juifs antisémites », que l’American Jewish Committee a décidé de publier, voici quelques mois, un petit ouvrage d’Alvin Rosenfeld, professeur à l’Indiana University, « Progressive » Jewish Thought and the New Antisemitism (« la pensée juive « progressiste » et le nouvel antisémitisme »).
Rosenfeld y procède de manière scrupuleuse, détaillée, précise. Comme il l’écrit dès l’introduction, en citant Jonathan Sacks, grand rabbin du Royaume-Uni : « Le fascisme allemand est venu et a disparu, le communisme soviétique est venu et a disparu lui aussi, l’antisémitisme, lui, est venu et il est resté. Il a simplement changé de masques, d’atours et de visages ». Et il est « extrêmement triste » de constater que, chez ceux qui s’appellent eux-mêmes les « Juifs progressistes », on rencontre des « contributions au climat intellectuel et politique » qui alimentent l’antisémitisme contemporain » sous couvert d’ « antisionisme ». Tout en citant de nombreux auteurs dont les phrases ont, effectivement, de quoi donner des frissons, Rosenfeld en distingue quelques-uns plus particulièrement.
Ainsi l’universitaire britannique Jacqueline Rose, qui procède à des comparaisons très spécieuses entre Herzl et Hitler, sous prétexte que ceux-ci assistaient l’un et l’autre à des concerts de Richard Wagner, n’hésite pas à écrire que, « dès sa naissance, on trouvait dans le sionisme les graines de la catastrophe ». Ainsi encore Michael Neuman, intellectuel canadien qui, après avoir parlé de « complot sioniste », note qu’Israël est engagé dans la perpétration d’un « génocide contre les Palestiniens ». Rosenfeld met en exergue, enfin, un livre qui semble particulièrement pernicieux, Wrestling with Zion, ouvrage collectif dont l’essentiel des contributeurs, parmi lesquels on ne s’étonnera pas de trouver Noam Chomsky et Norman Finkelstein, pense qu’il faut « mettre fin au plus vite à « l’existence de l’Etat juif ».
Rosenfeld conclut de la façon suivante : « Le fait que l’antisionisme, compris comme le rejet du droit imprescriptible des Juifs à leur patrie sûre en Israël, partage aujourd’hui des traits avec les idéologies antisémites du passé, ne semble pas troubler les Juifs qui participent à cette entreprise. C’est plus que répréhensible, c’est une trahison ». Puis : « Au fil des décennies, nombre de gens de gauche ont été des opposants sans concessions à l’antisémitisme et ont combattu celui-ci. Voir certains de ceux qui prétendent être leurs héritiers contribuer à un antisionisme qui est porteur de nombreux traits de l’ancien antisémitisme ne peut que troubler et donner la nausée. Cela donne davantage la nausée encore de voir des Juifs se placer en première ligne de cette contribution ».
Le fait qu’en ces pays la parole soit libre permet aussi que la réplique et la critique puissent s’exprimer elles aussi de façon plus explicite, sans que, à l’instar de ce qui est la norme dans tout Etat de droit digne de ce nom, la justice puisse se trouver saisie.
Cela ne change rien au fond des choses et il est évident que l’une des plus vieilles haines de l’histoire de l’humanité, et l’une des plus persistantes, n’en a pas fini de disséminer ses poisons. La vigilance et la détermination s’imposent donc, plus que jamais.